Interview de Smaïl Kanouté
Smaïl Kanouté, danseur et chorégraphe de la Compagnie Vivons
Smaïl Kanouté, vous êtes danseur et le fondateur du projet Yasuke Kurosan, une pièce chorégraphique mettant en lumière le multiculturalisme africain et asiatique.
Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Comment est venue l’idée de créer cette pièce chorégraphique ? Pourquoi choisir l’histoire d’un esclave africain devenant samouraï comme sujet d’expression ?
Smaïl Kanouté : “Elle m’est venue en regardant un manga (dessin animé japonais) il y a 14 ans. C’était « Afro samurai », avec la voix off de Samuel L. Jackson. J’ai regardé le film puis en faisant des recherches sur internet, je suis tombé sur l’histoire de ce samouraï africain qui a existé au XVIème siècle. Cette histoire m’est toujours restée en tête. Il y a 4 ou 5 ans, lors de « l’année du Japon » en France, avec plein d’expositions et d’événements autour de la culture nippone, j’ai eu envie de me rendre au Japon. Je me suis dit que ce serait bien de créer un projet pour me motiver. J'ai repensé à l'histoire de ce samouraï africain et j'ai travaillé dessus pendant un an. Je suis allé au Japon en 2019 pour réaliser un court-métrage de danse racontant l'histoire de ce samouraï africain. J’ai collaboré avec des artistes japonais locaux. En revenant en France, j'ai monté ce film pour le montrer à plusieurs festivals. Ensuite, j'ai eu envie de réaliser une performance unique. C'est ainsi que j'ai décidé de créer une pièce chorégraphique sur l'histoire de ce samouraï. Cette pièce aborde l'aspect multiculturel de nos vies. Pour moi, il était important de toucher des personnes concernées par le sujet, notamment des personnes métisses afro-européennes ou afro-asiatiques.”
FdD Francis Kurkdjian : Comment le casting des danseurs pour ce spectacle s’est déroulé ? Quels étaient les critères de sélection ?
S.K : “Le casting s'est fait de manière aléatoire, comme je le fais d'habitude. En fait, je ne fais pas d'audition formelle. Je rencontre des danseurs dans des battle de danse, sur Instagram, via des vidéos, lors d'événements ou de spectacles. Pour ce projet, j'ai décidé de collaborer avec deux danseurs avec qui j'avais déjà travaillé sur un spectacle précédent, "Never Twenty One". L'un des danseurs est camerounais-français et l'autre est guyanais avec des origines indiennes. Je leur ai demandé s'ils connaissaient des danseuses ou des danseurs afro-asiatiques. Grâce à eux, j'ai pu contacter Felicia Dotse, qui est chinoise et togolaise, ainsi que Salomon Mpondo-Dicka, avec qui j'avais déjà travaillé, un franco-camerounais. Vers la fin du casting, ils m'ont envoyé le profil d'une danseuse chinoise-gabonaise appelée Aisi Zhou, également connue sous le nom de Joyce. Quand j'ai vu son profil sur Instagram, j'ai remarqué qu'elle avait fait un solo avec un bâton en bambou. Pour moi, cela représentait vraiment l'image du samouraï. J'avais déjà assez de danseurs pour le projet mais j'ai quand même contacté Aisi qui habite en Suisse. Elle était très intéressée par le projet. Elle trouvait l'idée de parler de métis afro-asiatiques très pertinente, c'était une première pour elle aussi. Donc, le casting s'est fait par des rencontres via différents réseaux. “
FdD Francis Kurkdjian : Comment a été accueilli le spectacle lors de la tournée africaine qui s’est déroulée en mai 2024 ? Est-ce qu’il y a une différence avec le public français ?
S.K : “Le public africain est beaucoup plus mixte. En Europe ou en France, le public des spectacles de la danse contemporaine est généralement composé de personnes issues de la classe moyenne ou de l'élite, et majoritairement blanc. Alors qu'en Afrique, dans chaque salle, c'était vraiment différent. Il y avait des Européens, des Africains, des locaux, des internationaux, des mamans, des papas, des jeunes et des enfants. Le public est très diversifié, que ce soit au Sénégal, au Gabon ou en Éthiopie.
Par exemple, au Gabon, la famille de Joyce est venue la voir. Il y avait des Chinois, des Gabonais, l'ambassadeur japonais, l'ambassadeur coréen. C'était la première fois qu'on avait toutes ces populations dans la salle. C'était vraiment fantastique. Joyce dansait devant sa famille qui est composée de personnes chinoises et gabonaises qui parlaient mandarin, ce qui rendait le moment encore plus spécial.
Les publics en Afrique sont beaucoup plus vivants et expressifs. Ils réagissent immédiatement dès qu'une chose les touche, en applaudissant dès le départ, au milieu et à la fin. Pour le public africain, le fait qu'il y ait eu un samouraï africain, l'unique samouraï étranger de l'histoire du Japon, c'est incroyable, une fierté, une figure d'inspiration. Cela raconte aussi l'histoire exploratrice des empires africains, dont on ne parle pas beaucoup. À chaque fois, c'est incroyable. On faisait le spectacle sur scène, mais avant, il y avait le défilé "Walk" inspiré de cette histoire. On collaborait avec des danseuses, des danseurs, des musiciens et des musiciennes locaux, ce qui rendait chaque représentation unique en fonction de chaque ville.”
FdD Francis Kurkdjian : Quel est la suite du projet ? Après une tournée africaine, une tournée dans d’autres régions est-elle prévue ?
S.K : “Pour l’instant, nous envisageons d'organiser une tournée aux États-Unis, peut-être pour 2025. Nous travaillons dessus. En parallèle, nous essayons également de revenir en France pour programmer cette pièce. Nous avons rayonné à l'international, et maintenant, nous voulons nous concentrer à nouveau sur les territoires français et européens pour continuer à partager cette histoire. Vu son engouement croissant, je pense que la pièce va continuer à tourner en France et dans le monde. Nous sommes convaincus que cette œuvre suscitera encore plus d'intérêt et que nous pourrons la présenter à un public toujours plus large.”
En savoir plus sur le spectacle Yasuke Kurosan ici. Ne manquez pas de suivre l’actualité du projet sur le site www.fondsfranciskurkdjian.org