Interview de Radhouane El Meddeb
Radhouane El Meddeb est chorégraphe et fondateur du projet Je danse avec les mots. Ce projet propose une approche artistique pour mettre en lumière les récits des personnes vivant l'exil. En mêlant écriture et danse, Je danse avec les mots permet à ces voix de se faire entendre, de se raconter et de se libérer.
Fonds de dotation Francis Kurkdjian :
D’où vient cette idée ? En quoi l’union de la danse et de l’écriture répond-elle particulièrement aux besoins des participants ?
Radhouane El Meddeb :
"L'idée de ce projet est née de mon travail, depuis plusieurs années, sur la thématique de l'exil. C’est une réflexion personnelle, car je vis en France depuis 1995, après avoir quitté mon pays d'origine. À l’époque, je venais du théâtre, une discipline où le verbe et le récit sont centraux. Mais j'ai rapidement ressenti le besoin d’explorer une forme plus abstraite pour exprimer ce que je ne voulais ni verbaliser ni prononcer, mais plutôt ressentir et transmettre par le corps.
En travaillant sur l’exil dans mes pièces, comme Le cabaret de la Rose Blanche, inspiré de ma propre traversée de la Méditerranée, j’ai cherché à relier des récits d’exil anciens et contemporains. C’est ce qui m’a conduit à rencontrer des personnes ayant des parcours migratoires récents, souvent marqués par des situations complexes, comme celles des participants de l’association ARDHIS, qui soutient les droits des personnes LGBTQ+ en situation de migration.
Avec eux, nous avons mené des ateliers d’écriture et de danse. Ces ateliers ont permis de recueillir des récits que nous avons intégrés dans le spectacle avec l’aide d’une autrice. Ce processus a révélé combien il est difficile pour ces personnes de verbaliser des histoires parfois extrêmement douloureuses."
Fdd FK :
Parlons un peu de vous et de votre parcours. Comment avez-vous trouvé ce langage artistique unique ?
R.E. :
"Mon travail s’inspire beaucoup de mon histoire personnelle et de mes expériences. J’ai une formation en littérature, théâtre et danse. Mon premier solo, Pour en finir avec moi, a marqué le début d’une exploration introspective, où j’ai cherché à transformer mes récits personnels en matière artistique universelle.
J’aime partir de mon vécu pour collaborer avec d’autres artistes ou personnes, en cherchant à mettre en lumière l’humain dans toute sa sensibilité et ses paradoxes. Cela m’a permis de développer une approche où l’écriture, la danse et l’expérience personnelle se rencontrent pour créer des récits sensibles et poétiques."
Fdd FK :
Vous travaillez avec des personnes ayant vécu l’exil. En quoi l’introspection est-elle cruciale dans ces ateliers ?
R.E. :
"La première étape est toujours une prise de parole. Je commence par partager mon propre récit, en insistant sur la notion de départ. Mon départ était un choix artistique, loin de la réalité de ceux que je rencontre, pour qui il s’agit souvent d’une fuite, marquée par des traversées périlleuses.
Ensuite, nous échangeons sur leur vécu et les défis qu’ils rencontrent pour se faire comprendre ou raconter leurs besoins. Cela pose les bases d’un cadre de confiance, essentiel pour libérer leur parole."
Fdd FK :
L’écriture est la première phase de vos ateliers. Pourquoi avoir choisi cet exercice ?
R.E. :
"L’écriture est un exercice intime qui leur permet de poser des mots sur des souvenirs et des émotions. Je les invite à rédiger des lettres adressées à leurs proches, dans un cadre simple et sincère.
Beaucoup écrivent avec une fluidité surprenante, car ils ne sont pas habitués à écrire pour eux-mêmes. Leurs récits administratifs sont souvent collectés par d’autres. Ici, ils deviennent les auteurs de leur propre histoire, ce qui leur redonne une certaine dignité."
Fdd FK :
Comment se fait la transition entre l’écriture et la danse ?
R.E. :
"La transition commence par la lecture de leurs textes. C’est un moment très émouvant, où je leur apprends à travailler la voix, la respiration, les silences et le regard. Ces éléments les aident à sortir d’une posture de vulnérabilité.
Ensuite, nous travaillons sur l’incarnation physique de leurs récits. Je leur montre que les mots ne viennent pas seulement de la bouche, mais de tout leur corps. Parfois, je leur demande de reproduire des mouvements issus de danses traditionnelles de leur culture, en les liant à leurs émotions.
Quand ils se sentent submergés par leurs récits ou leurs émotions, je les encourage à traduire cela en mouvement, avant de revenir aux mots. Cela crée un va-et-vient entre écriture et geste, simple mais puissant."
Fdd FK :
Qu’espérez-vous que les participants retiennent de cette expérience ?
R.E. :
"Je leur dis qu’il faut faire de leur récit une force, mais aussi apprendre à le défendre. Ce récit, s’il est raconté avec un regard fuyant ou un corps affaissé, ne transmet pas toute sa puissance. Je leur apprends à regarder dans les yeux, à respirer profondément et à s’exprimer pleinement.
Tout leur corps doit parler : la posture, le regard, la manière d’articuler. Cela les aide non seulement à raconter leur histoire, mais aussi à se réapproprier une dignité souvent malmenée par leur parcours administratif ou juridique."
Fdd FK :
Quelle trace reste-t-il de cette expérience au-delà des représentations ?
R.E. :
"Il reste une trace écrite : les récits, lettres et créations qu’ils ont rédigés. Je leur laisse la liberté de les garder ou de me les confier. Souvent, ils choisissent de les conserver, fiers du travail accompli.
Ces récits ne deviennent pas une matière artistique en soi, car ils sont profondément intimes. Mais je leur dis toujours : "Faites de cette douleur un objet beau, poétique." Ils repartent avec une confiance renouvelée, enrichis d’une expérience où leur histoire a trouvé une forme créative et libératrice."