Interview de Cosima Brezovski

12 janvier 2024
En musique pour plus d’humanité

FdD Francis Kurkdjian : Cosima, vous êtes une jeune musicienne qui se destine à une carrière professionnelle dans des orchestres aux partitions classiques. Depuis quand et pourquoi avez-vous rejoint l’orchestre Ostinato ?

Cosima Brezovski : “J’ai rejoint Ostinato en octobre 2022 car le métier de musicien d’orchestre m’intéresse particulièrement. C’est un métier assez spécifique car être un bon violoniste ne veut pas forcément dire être un bon violoniste d’orchestre. Contrairement à la majorité des musiciens d'Ostinato, j’ai fini mes études. C’est donc pour moi un prolongement de ma formation. Le programme est très intéressant par le choix des solistes, des invités, des chefs d’orchestres, des masterclass et des tuteurs. J’apprécie également le choix musical très diversifié. Il y a du classique comme la symphonie de Mozart, mais aussi des musiques de Vladimir Cosma.


FdD Francis Kurkdjian : Est-ce que vos interventions en milieu carcéral dans le cadre du projet “En musique pour plus d’Humanité” font sens pour vous ? Qu’est-ce que cela vous apporte ?

C.B :Le projet porte très bien son nom ! J’ai l’impression que mon métier a dix fois plus de sens dans ce contexte que dans les concerts dits « normaux ». Ça m’apporte beaucoup d’émotion et ça aide à l’ouverture d’esprit. Il y a toute une remise en question car on se rend compte que le monde n’est pas tout blanc ou tout noir. Lorsque je regarde les gens autour de moi je me dis que ça peut être n’importe qui et ça ne se lit pas sur le visage. Si jamais on avait des préjugés avant d’arriver en milieu carcéral, ils partent tous.


FdD Francis Kurkdjian : Qu’est-ce que ça touche en vous ?

C.B :J’ai vraiment l’impression que ça réveille l’humanité. Quand on arrive en prison, il y a une part de curiosité qui se demande pourquoi les détenu.e.s sont là. C’est mieux de ne pas le savoir, on évite tout apriori. Peut-être qu’il y aurait une relation différente si on savait ce qu’ils avaient fait. On se rend compte que la présence des détenu.e.s en prison dépend des chemins de vie et que j’aurais pu être à leur place."

FdD Francis Kurkdjian : Qu’est-ce qui vous plaît le plus ?

C.B : “C’est peut-être bête mais on ressent énormément de reconnaissance et ça fait beaucoup de bien. Lorsqu’on fait des concerts, on sait que les gens sont contents, mais dans un contexte différent comme celui-ci on sent que ça déborde d’émotions. J’aime beaucoup le fait qu’on fasse qu’un seul. Détenu.e.s et orchestre forment un groupe qui avance ensemble. Aussi pour l’atelier à Fleury-Mérogis cette année j’ai trouvé que le choix des musiques collait vraiment.”

FdD Francis Kurkdjian : Qu’est-ce que vous déplorez le plus ?

C.B :Qu’il n’y ait pas plus de propositions comme celles-ci et que la prison soit très difficile d’accès. À l’écart des villes, c’est tout un périple pour s’y rendre, d’autant plus que la route est mal indiquée. Malgré tout, j’aimerais réitérer ma participation à ce type de projet.

FdD Francis Kurkdjian : Avez-vous une anecdote ou un souvenir marquant en lien avec le projet ?

C.B :J’ai du mal à choisir qu’une seule anecdote, mais par exemple à l’issue du dernier concert à Fleury-Mérogis en décembre 2023, il y avait beaucoup d’émotion et nous sommes beaucoup à avoir pleuré. Les détenu.e.s ont fait une surprise à Morgane Billet, la cheffe de chœur. À la fin du concert l’un d’entre eux s’est mis à la place de Morgane pour nous diriger et faire les mêmes échauffements que ceux des ateliers. Ce qui est drôle c’est qu’il dirigeait bien alors qu’il n’avait jamais fait ça. Puis lorsque nous étions en train de ranger, une dame du public en demandait encore. On ne savait pas trop si on pouvait continuer, d’autant plus qu’on avait déjà dépassé l’horaire de fin du concert. De là, une trompettiste a repris le dernier thème, suivi par un autre musicien, puis par moi et on s’est tous remis à jouer. Tout le monde dans la salle chantait et dansait. C’était un beau souvenir. Mais je me suis dit “mince”, il y avait un décalage dans l’émotion entre toute cette joie et la situation qui est quand même assez triste. Nous à la fin du concert on rentrait chez nous, eux rentraient dans leur cellule et on ne se verrait probablement plus. Je ne sais pas s’il existe un mot qui nomme cette émotion, mais c’était vraiment très fort.

FdD Francis Kurkdjian : Comment ce projet façonnera votre carrière selon vous ?

C.B :Il me donne envie de me diriger vers les publics empêchés. Malheureusement, ce n’est pas facile, surtout en tant que musicienne indépendante. Je vais continuer à y réfléchir et j’espère trouver de nouvelles occasions.

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