Interview d'Alan Gampel
Alan vous êtes un pianiste virtuose et musicologue classique américain. En 2022, vous créez l’association Les Bonnes Notes, un programme d'accompagnement éducatif qui utilise l'enseignement de la musique pour réduire les inégalités scolaires dans les quartiers populaires.
Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Pouvez-vous nous expliquer la genèse de Bonnes Notes et ce qui vous a motivé à créer ce projet ?
Alan Gampel : "J'ai grandi à Los Angeles et étudié dans une école publique située à la frontière de deux quartiers, l'un favorisé, l'autre défavorisé. J’ai rapidement pris conscience des inégalités scolaires qui en résultaient. À 17 ans, j’ai créé une petite association pour offrir des bourses à des élèves doués en musique mais qui n’avaient pas les moyens de suivre des cours privés.
En 2000, avec l'essor d'Internet, j'ai fondé Joy to Learn, une organisation qui met en contact de grands artistes avec des enfants. Cette initiative visait à soutenir les professeurs en enrichissant leurs enseignements avec des contenus présentés par des figures emblématiques comme Frank Gehry (architecture), Wynton Marsalis (jazz), ou Richard Serra (sculpture). L’idée était de rendre des concepts académiques plus accessibles et intéressants.
Lorsque mes propres enfants ont commencé le conservatoire à Paris, j’ai pris conscience de l’impact de la musique sur l’apprentissage. J’ai étudié les inégalités scolaires en France, qui apparaissent dès le CP et le CE1, et l’efficacité de la musique pour réduire ces écarts. J’ai décidé de créer une étude rigoureuse pour démontrer scientifiquement les bienfaits de l’enseignement musical.
Nous avons lancé une première étude au Kremlin-Bicêtre il y a cinq ans, mais la pandémie a compliqué son bon déroulement. Depuis, nous avons recommencé à Aubervilliers avec une équipe scientifique pilotée par Stanislas Dehaene. Les résultats préliminaires montrent déjà une amélioration du bien-être des enfants et de leur concentration."
Fdd FK : Pourquoi avoir ciblé un programme de deux ans destiné seulement aux classes de CP et de CE1 ?
A.G. : "Les études montrent que les inégalités scolaires deviennent évidentes dès le CP. C’est à cet âge que les enfants commencent l’apprentissage des mathématiques et de la lecture. L’initiation à la musique y trouve tout son sens. En grande section, les enfants sont encore trop jeunes pour s’asseoir et apprendre un instrument correctement.
Nous avons choisi une durée de deux ans parce qu’une seule année est insuffisante et les vacances réduisent le temps effectif d’apprentissage à environ six mois. Toutefois, prolonger au-delà de deux ans n’est pas nécessaire dans le cadre de notre objectif, qui est le soutien scolaire et non la formation de musiciens professionnels."
Fdd FK : Quel est le déroulement type d’un cours de musique ?
A.G. : "Chaque cours inclut des exercices techniques sur l’instrument (piano ou violon), une posture correcte pour le bien-être, et des activités liées au solfège, au rythme et à la lecture musicale. Nous intégrons également des émotions, comme la joie ou la tristesse, pour renforcer l’engagement de l’enfant. Tout cela est conçu pour avoir un impact positif sur leurs compétences en mathématiques et en lecture."
Fdd FK : En quoi la présence des parents est-elle essentielle dans ce projet ?
A.G. : "Le soutien parental change tout. Pendant la pandémie, les parents étaient impliqués dans les cours virtuels, aidant leurs enfants à suivre les instructions des professeurs. Avec le temps, certains parents qui ne connaissaient rien à la musique ont commencé à corriger leurs enfants. Cela crée une dynamique positive et renforce la motivation des enfants.
Nous encourageons aussi les familles à assister aux concerts. Lors d’un concert à Aubervilliers, nous avons été surpris de voir un auditorium complet avec des parents, grands-parents, et fratries. Cette implication familiale est cruciale pour le succès du projet."
Fdd FK : Avez-vous des anecdotes marquantes sur les enfants et leur ressenti durant les cours ?
A.G. : "Lors des cours, la joie des enfants est palpable. Ils arrivent enthousiastes et repartent fiers de ce qu’ils ont appris. Les professeurs de classe remarquent aussi un impact sur leur bien-être et leur comportement. Bien que notre dernière étude pilote ait été trop courte pour mesurer l’impact scientifique sur les mathématiques ou la lecture, les effets positifs sont déjà visibles."
Fdd FK : Quelles sont les principales difficultés du projet ?
A.G. : "La coordination entre les différents acteurs est le défi principal. Nous devons travailler avec l’Éducation nationale, les financeurs, et les familles. Le financement est particulièrement complexe car il inclut l’achat d’instruments, la rémunération des professeurs, et d’autres dépenses variables selon le nombre d’enfants participants. Cela demande une grande organisation avant le démarrage du projet chaque année."